
Origines des Pékins européennes et américaines
Article rédigé par le Dr Pierre FRESSY
ancien président du Club Français des Poules Pékin et Cochin - 01.10.2011

L’origine des poules Pékin(s) est elle une connue ? La Pékin est elle une « vraie » naine ? Y a-t-il un coloris d’origine ?
Si un jeune éleveur aborde ces sujets, il a toutes les chances de recevoir des réponses péremptoires : Les Pékin(s) sont toutes issues d’un petit groupe originel de couleur fauve importé en 1860 en Angleterre à la suite du sac du palais d’été des empereurs de Chine et bien entendu comme c’est écrit dans les livres, la Pékin est une vraie naine et non le diminutif des Cochins !
Fausse vérité ou vraie légende ? Tout cela est dit et répété dans les allées des expositions et dans la littérature avicole mais une affirmation mille fois répétée fait elle une vérité ? Ces éléments relèvent ils de la connaissance vérifiée ou de la légende dorée ?
L’essentiel des ouvrages ou articles disponibles aux éleveurs sont des documents de vulgarisation techniquement fort bien faits et utiles mais généralement sans prétention à une vérité scientifique ou historique détaillée qui plus est trop souvent basés sur une bibliographie essentiellement francophone.
La numérisation à grande échelle des ouvrages anglo-saxons de la fin du 18ème au début du 20ème siècle nous ouvre par contre désormais de nouveaux horizons alors même qu’il y a peu, nous ne pouvions compter en termes de revue bibliographique que sur quelques rares ouvrages français référentiels conservés dans des bibliothèques disséminées ou plus ou moins jalousement détenus par quelques éleveurs « papivores ».
L’élevage de poules de races n’a pas été inventé par les anglo-saxons mais force est de reconnaitre qu’ils ont été historiquement des acteurs « clef » de l’introduction du « sang asiatique » au sein du cheptel européen.
Comme l’indique A. Blanchon dans sa monographie « toutes les poules et leurs variétés » de 1924, les anglais sont aussi à l’origine de l’approche « fancy » c'est-à-dire « sportive » de l’élevage avicole.
Il semble donc du plus grand intérêt de remonter à cette source si l’on souhaite des informations « de première main » notamment pour notre Pékin.
Alors la théorie de l’Adam et Eve pékinois, vérité ou légende ? Que nous dit la machine à remonter le temps ?
Question Pékin, la pépite de la caverne numérique est sans conteste un auteur anglais contemporain de l’introduction mythique et surtout acteur important de son développement et d’une manière plus générale de celui des Bantams (poules naines) en Angleterre.
Il s’agit de William Famank ENTWISLE, décédé en 1892 à Wakefield UK. Son ouvrage « culte » Bantams a été publié de manière posthume en 1894.

William Famank ENTWISLE
Cet homme, initialement représentant de commerce en draps fit fortune dans la foulée de la passion toute nouvelle des classes dirigeantes et aisées du Royaume-Uni de cette fin 19ème pour l’élevage de poules importées d’Asie (on parlait à l’époque de « hens fever »). Il a spécifiquement développé l’élevage des naines et
plus particulièrement des Pékins et des combattants nains tout en donnant à cette activité ses lettres de noblesse.
Des auteurs américains du début du 20ème siècle comme T.F.Mc GREW ont dit qu’il avait lancé « the Bantam craze », la vogue des poules naines…
Dans son ouvrage « Bantams », W.F ENTWISLE est comme William COOK a propos de la création de la race Orpington, très précis sur les premiers temps de notre poulette favorite.
Que nous dit il ?
Il confirme que la première importation d’un couple de Pékins en Europe eu lieu en Angleterre en 1860 ou 1861. Elles étaient fauve et furent apportées par un officier de l’armée anglaise après le sac du palais Impérial de Pékin en 1860 par les troupes franco-anglaises lors de la seconde guerre dite de l’opium (1856-1860).

Il les offrit à un ami, Mr KERRICK (de Dorking). Ce dernier se livra alors à un élevage solitaire, a priori en total consanguinité (« bred in and in »), durant une douzaine d’années jusque vers le milieu des années 1870, date ou sans doute vieillissant, il commença à accepter à céder quelques sujets à un autre éleveur, Mr BELDON.
Cette souche fut à l’origine des premières Pékins vues en Exposition en 1863 ou elles firent sensation au point de pousser les éleveurs anglais de Cochin(s) à sélectionner ces dernières dans le sens des rondeurs de la Pékin.
Las, après ces longues années de consanguinité, les animaux étaient devenus fragiles et peu fertiles aussi malgré la participation d’autres éleveurs passionnés : Mr. H. B. Smith, de Preston ; Mr. W. J. COPE, de Barnsley ; Mr. John NEWSOME et Mr. J. S. SENIOR, de Batley ; l’élevage de cette première souche montra ses limites.
En désespoir de cause, deux de ces éleveurs, H.B SMITH et W.J COPE tentèrent alors de croiser ces Pékin(s) affaiblies avec des poules Nankin(s), autres naines à la mode en Angleterre à cette époque avec crête simple et coloris proche (Le « Nankin » était un tissu jaune fort en vogue à l’époque victorienne importé de la ville chinoise de Nankin, ce qui par contre ne semble pas être le cas des poules portant ce nom).

Bien que H.B SMITH ait tout de même pu exposer un couple de Pékin(s) lors d’une exposition à Wolverhampton en 1873 comme le prouve la gravure de LUDLOW ci-dessous.
ENTWISLE nous indique que malheureusement ces tentatives ne semblent pas avoir abouties in fine en Angleterre à autre chose qu’à des formes trop élancées avec amoindrissement voire perte de l’emplument des pattes associé à un assombrissement du coloris des tarses.
Certains de ces sujets croisés avec des poules Nankin, furent cependant exportés vers les USA où ils furent ensuite croisés avec des Cochin(s) fauve de petite taille comme nous l’indique T.F. Mc GREW, un auteur américain dans son livre “The bantam fowl » écrit en 1903.
A l’inverse, la quasi disparition de cette première souche en Angleterre fut fort heureusement contrebalancée par une suite de nouvelles introductions moins médiatiques mais visiblement plus à même de permettre un développement durable et diversifié de la race.
La seconde arrivée de Pékin(s) en Angleterre, encore une fois du fait d’un officier de l’armée anglaise, fut celle de Pékin() noires ! et non fauve (vers 1875 ?).
Il s’agissait d’un lot de poulettes à la couleur unie mais associées à des coqs porteurs de quelques plumes et un sous plumage blancs avec un camail plus ou moins doré.
Cette information nous apporte une première preuve qu’en Chine toutes les Pékin(s) n’étaient pas fauves…
ENTWISLE évoque ensuite une troisième arrivée possible de Pékin(s) cette fois à nouveau fauve, vers les années 1880, via une maison d’import anglaise BELLEY and sons mais dont il ne semble être rien sorti.
La couleur fauve étant cependant fort recherchée à cette époque du fait du grand engouement pour les Cochin(s) de cette couleur, ENTWISLE tout en travaillant à l’amélioration du coloris noir, désespérant de pouvoir bénéficier un jour d’un nouveau lot importé de fauves, entreprit de nanifier des Cochin(s)…ce qu’il commençait selon ses dires à bien réussir (poids de 2,5 à 3,5 lb) lorsqu’en 1884, un nouveau groupe d’une douzaine de Pékin(s) fauves chinoises arriva en Angleterre.
Il pu l’acquérir et le partager avec un autre éleveur du nom de E.WALTON.
ENTWISLE fut ensuite informé en 1885 de l’existence aux USA des descendants des Pékin(s) fauves issues de la souche KERRICK croisée Nankin(s)/Cochin(s).
Un ouvrage américain «The book of the bantams » écrit en 1886 par H.H.STODDARD liste effectivement dès cette date les Pékin(s) parmi les races « of to day » recensées par l’American standard of excellence.

W.F.ENTWISLE chercha donc et réussit aussi à récupérer quelque unes de ces Pékin(s) « américaines » quelque peu abâtardies mais de fait, descendantes de la souche première du Palais d’Eté.
Il évoque ensuite la continuation d’échanges avec les éleveurs américains via par exemple le prêt d’un de ses coqs « anglais » primé à un éleveur américain pour une saison de reproduction outre-atlantique en 1890.
Il eu ensuite encore d’autres importations « from china » souvent à l’initiative de particuliers fortunés comme le gentleman farmer Matthew LENO (1830-1904).

ENTWISLE nous précise ainsi que le « gentle Mister LENO » après avoir réussi à importer un coq chinois coucou lui permis de l’utiliser quelques temps.
A ce point de notre voyage dans le temps, « EXIT » donc la légende uniciste d’une population de Pékin(s) uniquement issue d’un couple originel fauve, place aux importations multiples même si peu importantes en fréquence et en nombre d’animaux.
Maintenant Quid des modalités et de la chronologie d’apparition des premiers coloris ?
Après l’extinction de la première souche fauve de 1860, c’est donc une souche noire « made in China » qui ouvrit réellement le bal des Pékins d’Europe.
ENTWISLE les travailla en consanguinité mais instruit de l’échec de KERRICK, il eu également recours Oh, sacrilège ! à des croisements avec des Cochin(s) noires de petite taille et une autre race naine, la Sabelpoot (Booted bantam).
Le coloris est stabilisé vers 1889.



Les précieuses « nouvelles » fauve obtenues de Chine en 1884, furent, par peur de les perdre à nouveau par consanguinité, également d’emblée accouplées avec des Cochin(s) fauve de petite taille !! Bis repetita dans le sacrilège !!

Après avoir travaillé les premières Cochin(s) GR pour les arrondir et les faire ressembler aux premières Pékin(s) de KERRIK, voilà donc le mouvement qui s’inverse et ces Cochin(s) qui sont à cette date utilisées pour travailler les Pékin(s)…
Pour échapper à la fatalité consanguine, ENTWISLE au-delà de sa collaboration avec son ami E.WALTON, chercha aussi à développer une collaboration avec un maximum d’autres éleveurs, en Angleterre mais aussi aux USA.
T.F. Mc GREW, précise dans son livre “The bantam fowl » écrit en 1903 que les éleveurs américains firent de même.

Les premiers sujets blancs stabilisés sont initialement issus du croisement de coqs Pékin(s) noirs porteurs de quelques plumes et sous plumage blancs avec des sabelpoot(s) blancs probablement non porteurs du gène argenté. On peut le penser car les premiers sujets obtenus sont décrits comme « pailleux ».

Pour améliorer ce coloris ENTWISLE eu a nouveau recours au réservoir Cochin. Cet apport lui permis probablement d’introduire l’allèle « S », argenté puisqu’il vit naître
des poussins non plus « blanc-jaunet » mais « blanc-grisé » à l’origine d’adultes sans reflet pailleux.

Le coloris coucou obtenu ensuite par ENTWISLE est en partie également issu de ces croisements destinés initialement à obtenir des sujets blancs. Cela lui a permis d’obtenir spontanément ses premiers sujets imparfaits qu’il croyait au départ simplement blancs « sales ». Il bénéficia aussi de l’importation fort opportune comme dit ci-dessus, d’un coq coucou « made in China » qui lui permis de renforcer ce caractère.
Grâce à cet apport, la couleur put être fixée dès 1888.
Cette information nous éclaire sur la création européenne des Pékin(s) coucou mais nous apprend aussi qu’au pays du matin calme, il y avait donc outre les Pékin(s) fauves et les noires aussi des coucou…
La dernière couleur travaillée et stabilisée par ENTWISLE est le coloris « PARTRIDGE » à savoir perdrix. Il obtint les premiers poussins approchant cette couleur par croisement de Pékin(s) noirs et fauves mais là, à nouveau sacrilège ! Il nous indique une fois encore qu’il l’a stabilisée en recourant à nouveau à des croisements avec des Cochin(s) perdrix.

Nous voici donc vraiment confronté à moult accros au concept d’une Pékin vraie naine qui ne doive rien à sa grande compatriote… Cet apport de sang « Cochin »
chez les premières Pékins européennes est totalement confirmé par d’autres auteurs anglais comme P.PROUD dans son ouvrage « Bantams as a hobby » écrit en 1900.
Au final, ces informations mettent quelque peu à mal nos certitudes initiales sur les Pékin(s). Il nous faut ainsi semble t il accepter que :
- toutes les Pékin(s) d’Europe ne sont pas issues d’un couple originel unique ;
- la Pékin est arrivée d’emblée « naine » en Europe mais les premiers sujets reçus de Chine furent rapidement croisés avec des Cochins* ;
- la couleur fauve fut certes la première vue en Europe mais pas du tout à l’origine de toutes les autres.
Il est à noter que ce point contredit les propos d’Adolphe Blanchon qui dans son ouvrage « culte » « Toutes les poules et leurs variétés », indiquait en 1924 que «Avec la variété fauve, ainsi introduite, on obtint par divers croisements, les quatre autres variétés actuellement élevées : la noire, la coucou, la blanche, la perdrix », preuve de la rapide distorsion des faits avec le temps et l’éloignement géographique ;
- au moins une autre race naine, la Sabelpoot a participé au développement des premières Pékin(s) européennes (et deux si on y rajoute les Nankins).
Les années 1860-1900 furent donc fondamentales pour l’implantation et le développement des Pékin(s) qui en l’espace de 40 ans vont passer du statut de race inconnue en Europe à l’une des plus recherchées en naine aux côtés des Sebright(s) et des Java(s) et ce au travers 5 coloris de base : noir, blanc, fauve, coucou et perdrix.
Dès 1902, dans son livre “The new book of poultry” L.WRIGHT, y ajoute aussi déjà la variété cailloutée.

Si la prise en compte de ces données nous permet de renouer avec une vérité que le temps avait modifiée, elle ne nous éclaire cependant que sur l’origine des Pékin(s) européennes. Or, ne perdons pas de vue que l’histoire européenne de la Pékin n’est sans doute pas grand chose par rapport à sa longue histoire sur le continent asiatique.
Sur ce dernier point, reconnaissons qu’en 2012, nous n’en savons guère plus qu’à la fin du 19ème siècle et même probablement moins car les officiers de l’armée anglaise ainsi que les commerçants européens ou US de l’époque ont sans doute eu la chance de voir au moins en partie quelle pouvait être la réalité des Pékin(s) en leur pays d’origine.
Soyons donc heureux, Il y a encore du travail pour les passionnés notamment pour une analyse fine des rares écrits des hommes du passé, aviculteurs ou non, mais aussi pour profiter de nouvelles voies de recherche permises par la mondialisation.
L’ouverture de la Chine contemporaine peut notamment permettre de développer des travaux sur les estampes et écrits chinois anciens ou pourquoi pas de mettre sur pied un prochain voyage d’étude du Bantam Club de France ou du club des poules Pékin et Cochin, en Chine à la recherche des « pékin(s) perdues » peut être ou non encore présentes sur place… ?
Pour essayer d’être le plus exhaustif sur le sujet des origines, il ne paraît pas illégitime de se demander si avant les soldats et commerçants anglais, les hardis navigateurs hollandais n’auraient pas été les premiers à importer en Europe des Pékins plus ou moins archaïques développées ensuite aux Pays-Bas sous le nom de Sabelpoot(s) et de barbues d’Uccle ?

Question téméraire voire iconoclaste ou hérétique pour certains mais question tout de même car certes, la Pékin est aussi bouffante que la sabelpoot est élancée mais n’est ce pas là simplement le résultat de deux axes de sélection différents à partir d’ancêtres communs ? Là aussi un travail sur les écrits des navigateurs, aventuriers et commerçants hollandais serait peu être utile au détour d’un livre oublié.
Pour y voir plus clair sur ce sujet, une autre voie de connaissance nous est ouverte par la science moderne via une étude comparative en biologie moléculaire du génome de ces trois races à la recherche (et même de la datation) d’une éventuelle communauté d’origine.
Une telle étude tout à fait possible techniquement serait également fort intéressante pour une comparaison du génome des Pékin(s) avec les Cochin(s) (ex Shangae) mais aussi avec celui des Croad Langshan(s) dont le célèbre éleveur et auteur avicole anglais Lewis WRIGHT (1838-1905) nous dit quelles sont en fait très proches du type archaÏque des premières Cochin(s)…

Les techniques de biologie moléculaires étant désormais en routine dans de nombreux laboratoires universitaires, une démarche de la SCAF, du Bantam club de France (BCF) et du Club français de la Pékin (CFP) auprès des écoles vétérinaires
ou d’ingénieurs agronomes pourrait sans doute via la proposition d’intéressants sujets de Thèse, apporter les moyens de cette ambition.
Tout cela mérite en effet analyse objective au delà du seul débat entre passionnés. Il n’est d’ores et déjà pas incohérent d’oser imaginer une construction phylogénique qui relierait Langshan(s) et Cochin(s) en grandes races (GR) et sabelpoot(s) et Pékin(s) en races naines (RN)… et pourquoi pas aussi un lien chinois initial entre ces (cette) GR et la Pékin dans un sens ou dans l’autre (car n’oublions pas que se sont les poules GR qui sont des géantes vis à vis de leur ancêtre sauvage et non l’inverse).
il est en effet troublant de noter que le monastère de Langshan d’où le major F.T.CROAD de l’armée anglaise a rapporté les premiers sujets de cette race en 1872, est localisé en Chine du Nord Est, pas si loin de Pékin…

Si ces filiations ou cousinages originels étaient avérés, ils légitimeraient a posteriori les croisements effectués par ENTWISLE.
Bibliographie
Ouvrages pour la plupart accessibles par téléchargement gratuit et légal sur l’un des deux sites Internet suivants :
-
american libraries : http://www.archive.org/details/americana
-
google livres : http://books.google.fr/advanced_book_search
Ouvrages anciens, généraux
-
B.MOUBRAY et J.LAWRENCE« Moubrays treatrise on domestic and ornamental poultry, A practical guide, 1854, UK
-
C.JACQUES, « Le poulailler, monographies des poules exotiques et indigènes », 1858
-
W .WINGFIELD , C.W.HNSON , “Poultry Book », 1861, UK
-
L.WRIGHT, “The new book of poultry” 1902, UK
-
A.BLANCHON, DELAMARRE DE MONCHAUX, monographie « Toutes les poules et leurs variétés », 1924, F
-
SHLEWER “ Wright’s book of poultry”, 1921, UK
Ouvrages anciens, dédiés aux races naines
-
H.H.STODDARD, “The book of the Bantams”, 1886, USA
-
W.F.ENTWISLE, “Bantams”, 1894, UK
-
P.PROUD, “Bantams as a hobby” 1900, UK
-
T.F.Mc GREW, “Bantam fowl », 1903, USA